Au cours de cette seconde partie du vingtième siècle, les quantités de poissons pêchées dans le monde ont considérablement augmenté. De 19,6 millions de tonnes en 1948, elles passent à 65 millions de tonnes en 1970, soit un accroissement de plus de 330% en deux décennies. Entre 1970 et 1990, la surexploitation des années précédentes provoque une diminution de la ressource. La progression de la pêche mondiale se stabilise à un ou deux millions de tonnes par an. On estime à 99,5 millions de tonnes les quantités mondialement pêchées en 1989. Les espèces les plus pêchées sont les harengs, les sardines et les anchois.
Source: FAO, Annuaire des pêches, 1990 (chiffres 1989).
Les quantités pêchées varient très fortement selon les continents. Ainsi l'Asie, avec 50 % de la production mondiale, prédomine nettement, tandis que l'Afrique, avec une production moyenne de cinq millions de tonnes par an ne représente qu'un faible pourcentage (4,9 % de la production mondiale).
Source: Développement 1988, ACDI, Canada.
Tableau 1: Principaux groupes d'espèces pêchés dans le monde en 1989
Harengs, sardines, anchois |
24 574 460 t |
Morues, merlus, éperlans |
12 830 536 t |
Poissons marins divers |
10 128 577 t |
Chinchards, mulets, balaorus |
9 242 662 t |
Rascasses, perches de mer, congres |
5 906 778 t |
Poissons d'eau douce divers |
5 782 622 t |
Carpes, barbeaux |
4 974 044 t |
Thons, pélamides, marlins |
4 009 881 t |
Maquereaux, thyrsites, silures |
3 826 131 t |
Crustacés marins |
3 124 229 t |
Saumons, truites, éperlans |
1 436 940 t |
Flétans, soles |
1 192 432 t |
Aloses |
724 923 t |
Squales, raies, chimères |
688 053 t |
Diadromes divers |
656 873 t |
Crustacés d'eaux douces |
241 998 t |
Esturgeons |
19 318 t |
Anguilles |
649 t |
Tilapias |
29 t |
Source: FAO, Annuaire statistique des pêches (captures et quantités débarquées), volume 68, 1990.
À ce notable accroissement des quantités pêchées s'ajoute une grande diversité de traitements lice à de nouvelles techniques de conservation, notamment la congélation et la surgélation industrielles.
Source: FAO, Annuaire des pêches, 1990 (chiffres 1989).
Sur une zone aussi vaste que le continent africain, où les statistiques sont peu fiables, il est difficile d'évaluer précisément l'état des différents gisements ainsi que les quantités pêchées par espèce et par pays. Le CTA (1) a réalisé en 1986 une série d'enquêtes portant sur seize pays d'Afrique de l'Ouest: Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. L'étude établit que les prises totales annuelles marines et continentales (cf. ci-dessous) se situent, pour la période 1980/1983, entre 0,9 et 1,35 million. En 1989, ces chiffres restaient stables: 1,36 million de tonnes par an (2), principalement consommées sur place, pour l'ensemble de ces pays.
(1) CTA: Centre technique de coopération agricole et rurale.(2) Source: Annuaire statistique des pêches, FAO, 1990.
La pêche «en eau douce» (ou «continentale»), dans les fleuves, les lacs, les lagunes..., représente une partie non négligeable de la production (15 % à 20 % selon les pays ou les régions).
Le Sénégal, avec 340000 tonnes, est le premier producteur africain. Le Ghana et le Nigéria, qui produisent respectivement près de 300000 et 200000 tonnes, constituent avec le Sénégal un groupe de tête. En dehors de ces trois pays, la production est très disparate (cf. tableau 1 annexe 1).
Ce faible score des pêches africaines est lié en grande partie à la prépondérance d'un secteur artisanal constitué de très petites unités à faible rendement. Véritables «paysans de la mer», les pêcheurs artisanaux représentent un groupe social conséquent (environ 36000 personnes) qui alimente 75 % en moyenne des productions nationales.
Sur toute la façade ouest-africaine, la majorité des captures est réalisée par des flottes étrangères: les pêches nationales représentent moins de 45 % de la production de la région. Il s'agit là d'une perte économique très importante pour les pays africains, qui n'ont souvent pas les moyens de faire respecter les accords internationaux sur les zones de pêche. Limiter les pêches des flottes étrangères et transférer une partie de leurs activités aux pécheurs africains est l'objectif clairement poursuivi par certains pays. En Mauritanie par exemple (3), des entreprises de pêche mixtes, où les Mauritaniens détiennent au moins 51 % du capital, ont été constituées. Ces entreprises ont investi dans des installations de transformation à terre et la modernisation de leurs équipements.
Il est vrai qu'en Mauritanie, les produits de la pêche constituent une des principales ressources en devises du pays (avec le minerai de fer, et dans une moindre mesure l'élevage). En 1986, les produits de la mer ont représenté 60 % des recettes de l'État (4). Dans d'autres pays, comme en Sierra Leone, la transformation du poisson destiné à l'exportation constitue aussi un secteur économique important.
(3) FAO, Fiche profil des pêches, 1988.
(4) FAO, Fiche profil des pêches, 1988.
Tableau 2: Principales espèces pêchées au Ghana, Sénégal, Mali, en Sierre Leone et Côte d'ivoire
|
Poissons de mer |
Poissons d'eau douce |
Ghana |
Sardinelle ronde, baliste gris, thon |
Tilapias (70%), anchois, loups (lac Volta) |
Sierra Leone |
Sardinelle, bonga, ethmalose, hareng (2/3 pêche), capitaine de
mer, totolites |
Pas de données |
Sénégal |
Sardinelle, chinchard, ethmalose, capitaine de mer, silure,
pageot, sole, thon, mollusque |
Pas de données |
Côte d'ivoire |
Sardinelle, capitaine de mer, silure |
Tilapias, alestes (lacs), charias, tilapias (aquaculture),
machoirons, crevettes |
Mali |
Pas de données |
Tilapias, synodontis (poisson-chat), lates, labeo |
Source: Annuaire statistique des pêches, FAO, 1990.
L'Afrique occidentale est l'une des parties du monde qui a la plus forte croissance démographique: 430 millions d'individus en 1981,630 millions en 1992, probablement 810 millions en 2000.
Cette évolution s'accompagne d'une urbanisation de plus en plus marquée. On prévoit qu'en l'an 2000, plus de la moitié de la population des principaux pays de la région sera citadine. Les problèmes d'approvisionnement en protéines animales se poseront alors avec acuité.
D'ores et déjà, le manque de productivité du secteur des pêches contraint la plupart des pays africains à importer du poisson frais, réfrigéré ou congelé. En 1989, pour les seize pays considérés par le CTA, 744636 tonnes de poisson frais, réfrigéré ou congelé et 6876 tonnes de produits salés, séchés ou fumés ont été ainsi importées (cf. tableau 4 annexe 1).
Le poisson, une denrée alimentaire importante en Afrique
La consommation africaine moyenne tourne autour de 5,5 à 8,5 kg de poisson par personne et par an. Soit la moitié de la consommation mondiale qui est de 14,8 kg par personne et par an (à l'exception des Japonais qui consomment 86 kg de poisson par personne et par an).
Cette moyenne africaine recouvre cependant d'importantes disparités régionales. La consommation moyenne de poisson par habitant et par an varie de 44 kg au Congo à 3 kg en Guinée Bissau. Au Sénégal, chaque individu consomme environ 26 kg de produits de la mer par an, le double de la moyenne mondiale. À Dakar, où le plat national, le tiebou diene (riz au poisson) est présent sur la table pratiquement tous les jours, la consommation atteint même 70 kg. Tandis qu'en zones rurales, elle demeure inférieure à la moyenne nationale (5).
(5) Annuaire statistique des pêches, FAO, 1990.
Malgré ces écart importants, le poisson constitue la principale source de protéines alimentaires dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, où l'approvisionnement en viande est insuffisant ou trop cher. À Abidjan, le prix de la viande au marché varie de 250 Fcfa/kg (viande avec os) à 1000 Fcfa/kg (viande sans os). Un kilo de poisson frais coûte, à la criée, 130 Fcfa (122 à 124 Fcfa pour la sardinelle). Certaines espèces comme le capitaine sont plus chères: 250 F/kg.
Pour de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, le poisson constitue un produit alimentaire majeur.
Source: Étude SCET, 1984.
Le poisson «disponible» à la consommation
Le poisson disponible (tableau 4 de l'annexe 1) à la consommation est équivalent à la différence entre les quantités de poisson entrant dans le pays (pêche + importations) et les quantités de poissons sortant du pays (exportations). Il faut tenir compte, pour certains pays, des quantités servant à la fabrication de produits destinés à l'alimentation animale: 4 à 5 % du «disponible» en Côte d'Ivoire contre 1,5 % au Sénégal.
Dans certains pays gros exportateurs (Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Mauritanie et Sénégal), le «disponible» est inférieur à la production.
Le poisson est un aliment consommé partout dans le monde car il constitue une source de protéines (17 à 20%) sensiblement identique à la viande. Il apporte aussi une grande quantité de sels minéraux et de vitamines nécessaires à la santé humaine. Une petite quantité de poisson intégrée à une préparation culinaire à base de céréales ou de tubercules, améliore non seulement le goût, mais aussi la valeur nutritionnelle du plat. Voir figure 8, page suivante.
Les protéines
Les protéines du poisson ont une valeur nutritionnelle au moins aussi bonne, sinon meilleure, que celles de la viande.
On sait en particulier que la production d'acides aminés essentiels est importante, notamment la teneur en lysine (contenue en faible quantité dans les céréales). Le coefficient d'efficacité protéique (CEP) indique la qualité des protéines du poisson. Ce coefficient est le rapport entre le gain de poids corporel de l'organisme nourri et le poids de protéines ingérées. Ce rapport traduit l'augmentation du poids vif d'un individu en croissance en fonction de l'aliment.
La valeur énergétique des poissons varie selon les espèces: les poissons «gras» sont plus nutritifs que les poissons «maigres».
Tableau 3: Coefficient d'efficacité protéique de quelques aliments
Viande |
Boeuf |
1,64 |
Poissons |
Cabillaud |
1,96 |
|
Sardine |
2,02 |
|
Maquereau |
2,23 |
L'analyse des besoins humains en protéines a permis de délimiter deux seuils:
- en dessous du seuil de carence apparaissent les «maladies de carence» liées à une consommation annuelle de protéines inférieure à 10,5 kg par personne;- le seuil d'équilibre, en dessous duquel le développement de l'individu n'est pas optimum, est évalué à 21 kg de protéines par personne et par an.
Dans de nombreux pays africains, les besoins minimaux en protéines ne sont pas satisfaits (voir figure 7).
Les lipides
La quantité de lipides varie très fortement selon que le poisson considéré est gras (maquereau) ou maigre (thon). Dans un poisson gras, la quantité de lipides peut atteindre 5,4 % (elle n'est que de 1 à 1,5 % pour les poissons maigres).
Cette valeur lipidique varie aussi selon la saison; ainsi, juste avant le frai (moment de la ponte), d'importantes réserves de matières grasses (jusqu'à 20 %) se constituent, essentiellement dans le foie.
Les lipides du poisson se caractérisent par une forte proportion d'acides gras insaturés; dans les huiles de poisson gras, ce taux peut atteindre 75 %. Les acides gras insaturés sont plus digestes et donc plus facilement assimilables.
Les éléments minéraux
Le poisson est particulièrement riche en éléments minéraux ainsi qu'en oligo-éléments. Il contient notamment de l'iode.
Les vitamines
La teneur en vitamines varie avec les espèces, l'âge des poissons, la saison et les lieux de pêche. Mais tous les poissons sont riches en vitamines, surtout A et D, qui manquent souvent dans l'alimentation.
Aussi bien du point de vue économique qu'alimentaire, le poisson représente ainsi une ressource de grande valeur en Afrique de l'Ouest.
Face à l'augmentation des besoins d'une population en forte croissance, développer la pêche est une solution importante. Mais la capture ne représente qu'une partie de l'activité de «la filière pêche», et il faudra prendre en considération tous les éléments qui interviennent entre le pêcheur et le consommateur.
L'activité «pêche» recouvre l'ensemble des opérations qui vont de la capture à la vente du poisson. C'est une filière complexe, qui ne consiste pas uniquement en une succession d'opérations techniques, mais où se nouent des relations entre les acteurs et où coexistent différents métiers et modes d'organisation.
Les activités de capture, de transformation et de commercialisation créent des échanges sociaux et économiques. En amont, les achats d'équipements (filets, pirogues, céréales), en aval, la commercialisation du poisson (frais, fumé, salé, séché...) induisent des flux monétaires qui alimentent l'ensemble de l'économie et créent des liens sociaux très forts entre les acteurs concernés.
Dans le monde, on évalue à 10 millions le nombre de pêcheurs. Mais si l'on comptabilise leur famille, les travailleurs qui transforment le poisson, le transportent ou le commercialisent, cela fait 100 millions de personnes qui vivent de la pêche. Le nombre de personnes qui vivent ou tirent des bénéfices de l'activité pêche dépasse largement celui des pêcheurs.
Pour l'ensemble des pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, on estime que trois à quatre millions de personnes vivent, directement ou indirectement, de la pêche. Par exemple, en Côte d'Ivoire, pour une population de 8846 millions d'habitants, la filière pêche occupe environ 60000 personnes, soit 0,7 % de la population. Au Ghana, ce pourcentage est plus fort ( 1,7 %); au Mali, il atteint 5,7 % (6). Dans la plupart des pays africains, c'est la filière artisanale qui occupe le plus grand nombre de personnes. Environ 70 % des Africains qui travaillent dans la filière pêche ont une activité de type artisanal.
(6) Source: FAO, Fiches profil des pêches, 1988.
Le développement d'une activité n'est pas lié à l'évolution d'un seul élément, mais à la combinaison d'une série de facteurs. L'histoire de la filière sénégalaise est de ce point de vue exemplaire. Depuis toujours, le long des côtes, une activité traditionnelle de pêche faisait vivre les pêcheurs et leurs familles qui approvisionnaient en poisson les agriculteurs proches.
Dès le XVII e siècle, grâce à un meilleur équipement des pirogues (l'ajout de voiles notamment), la pêche s'intensifie, la demande en poissons frais augmente, de même que le nombre de personnes impliquées dans les activités de pêche, de transformation et de commercialisation du poisson.
C'est à la fin du XVII e siècle qu'est créé le quartier de pêcheurs Guet N'dar, où naîtront le cabotage et la spécialité de poisson sec des marins saint-louisiens.
Avec l'abolition de l'esclavage, l'économie change de visage et s'oriente vers l'exportation de produits primaires destinés à l'Europe. La commercialisation s'organise et la transformation se développe à proximité des zones de pêche. C'est à partir de Guet N'dar et de Rufisque que vont se développer les courants d'échanges les plus importants.
Au début, la vente du poisson se limite aux villages échelonnés le long de la voie ferrée qui relie Saint-Louis à Dakar. Les modes de conservation, le séchage et la salaison, n'exigent pas de technique complexe. Les femmes, qui s'occupent de la vente et de la transformation du poisson, l'échangent contre du riz, du mil et du sel, ou de l'argent.
Ce n'est qu'avec l'ouverture des routes bitumées (la première est ouverte en 1951), que le poisson pourra être commercialisé vers l'intérieur du pays. Une contrainte majeure demeure cependant: l'absence de glace en dehors de Dakar.
Après l'indépendance, la modernisation des pirogues puis leur motorisation progressive et l'utilisation de moyens de pêche de plus en plus performants augmentent les rendements. La technique du kétiack (poisson braisé, séché et salé), qui permet l'utilisation des invendus, se développe parallèlement à un accroissement notable du mareyage.
Dans le cas du Sénégal, c'est la combinaison de trois facteurs, l'évolution des techniques de pêche, la mise en place du réseau routier et l'organisation des mareyeurs qui ont permis à la filière pêche de se développer, induisant un accroissement des activités de transformation, la création de nouvelles recettes, de nouveaux emplois, la multiplication des contacts et des liens commerciaux.
Les principaux acteurs de la filière pêche sont bien évidemment les pêcheurs; sans eux, pas de poisson. Les pêcheurs sont presque toujours des hommes. Les femmes, en Afrique, pêchent parfois leur propre poisson, mais cette pratique est très localisée. Ainsi, par exemple, au Bénin, au Nigéria et au Cap Vert, quelques femmes pêchent dans les eaux intérieures. Au Mali, les femmes peuvent participer à certaines pêches.
À l'autre bout de la chaîne se trouve le consommateur, qui est rarement en relation directe avec le pêcheur. Pour acheter du poisson, le consommateur s'adresse aux grossistes, ou à des marchands au détail, qui fixent les prix de vente sur les marchés.
Entre le pêcheur et le consommateur, il existe donc de nombreux intermédiaires, qui constituent une véritable chaîne.
On appelle « ouvriers» du poisson les menuisiers qui fabriquent des caisses pour transporter le poisson fumé, les fabricants/vendeurs de nattes (très utilisées pour le poisson séché), les manoeuvres qui déchargent les bateaux, portent et trient le poisson jusqu'à la bascule. Ceux-ci perçoivent un prix fixe par colis. Dans certains cas, des «logeurs» sont chargés, après le tri, de placer les poissons sur des nattes, de les coudre pour l'expédition et de remplir les caisses, avant de procéder à la pesée.
Les intermédiaires commerciaux sont les courtiers professionnels qui se portent acquéreurs de la marchandise, négocient le prix et cherchent un commerçant-preneur. Des commerçants-grossistes s'interposent parfois entre le grossiste et le commerçant. Les transporteurs-camionneurs sont organisés en coopératives de transport.
Les femmes occupent une place prépondérante dans la filière. Elles sont très bien organisées. Elles sont le plus souvent liées les unes aux autres par des relations de cousinage ou ethniques. Elles forment un groupe très particulier et très bien structuré dont nous reparlerons plus loin.
L'État et les administrations interviennent également: taxes, impôts, délivrance des patentes, contrôle des produits et des prix, etc.
Observons à M'Bour, au Sénégal, une pirogue qui accoste sur la plage, près du lieu où aura lieu la transformation.
Le videur décharge le poisson de la pirogue dans les paniers, le porteur-trieur transporte les paniers jusqu'au lieu de braisage, d'autres manuvres chargent le four, épluchent, nettoient le poisson, pilent le sel...
À M'Bour, comme dans toute l'Afrique de l'Ouest, ces opérations sont généralement dirigées par les femmes, responsables de la transformation et de la vente du poisson. Le plus souvent, les femmes achètent le poisson, au comptant ou à crédit. Elles peuvent aussi parfois prêter de l'argent aux pêcheurs. Mais, même dans ce cas, leurs comptes sont généralement séparés. Cette activité est souvent familiale: le mari pêche le poisson, la femme le traite et le commercialise. Le couple peut établir des relations économiques avec d'autres individus du groupe, par exemple prêter ou emprunter à d'autres personnes (7).
(7) Source: IDAF Newsletter n° 7, juin 1987.
Au Ghana et au Togo les «mamies» poissonnières, dans de nombreuses communautés de pêcheurs, sont la clé de voûte du système de traitement et de commercialisation du poisson. À la tête de leur «entreprise» comme de leur famille, elles décident de la répartition des bénéfices, financent l'activité des pêcheurs, pourvoient à certains besoins de leur communauté.
En Afrique de l'Ouest, comme en Asie, 70 à 90 % des produits de la mer sont ainsi commercialisés par les femmes.
Des pêcheurs polygames à Nyangano au Ghana (8) Nyangano est une petite communauté de pêche où une vingtaine de
femmes sont responsables du fumage du poisson. Les rapports de polygamie sont à
la fois socialement acceptés et économiquement nécessaires pour ces
«fumeuses» car leur travail dépend de leur lien avec un pêcheur. Seul
le mariage avec un homme qui possède un bateau assure un approvisionnement
régulier en poisson. En échange, les transformatrices utilisent une partie des
recettes tirées des ventes pour l'alimentation de la famille. Le fumage du
poisson est une activité familiale traditionnelle. Lorsque l'activité de
transformation marche bien et que les fonds sont plus importants, certaines
femmes prennent cependant le risque de se séparer du groupe et s'installent à
leur compte. Elles paient alors des manuvres masculins pour certains
travaux. |
(8) Source: JEAY A.-M., Rôle des femmes dans la préparation et la commercialisation du poisson au Mali, 1977.
Au Sénégal (9), pour des raisons culturelles, le partage des tâches est aussi très marqué. Les hommes s'occupent presque exclusivement de la capture du poisson et les femmes interviennent dans toutes les opérations qui se déroulent à terre: elles sont transformatrices, détaillantes, parfois même mareyeuses.
(9) Source: revue Communautés africaines n°25, 1988.
À la nuit tombée, elles se rendent sur la plage avec leurs bassines ou leurs paniers et leur argent; elles attendent l'arrivée de «leur» pirogue. Chacune d'elle est liée à un pêcheur qui lui livre le poisson capturé. Parfois elles se groupent pour acheter et traiter ensemble de plus grandes quantités. Les techniques de salage, séchage et fumage sont traditionnelles. Près de 40 % du poisson est ainsi transformé et vendu sur les marchés du pays ou exporté vers d'autres pays d'Afrique.
En 1984, à M'Bour, sur 900 propriétaires de claies de séchage, 760 étaient des femmes. Leurs conditions de travail sont rudimentaires et elles dépendent de nombreux intermédiaires qui contrôlent les marchés et fixent les prix. En effet, malgré l'importance de leur rôle, les femmes ne disposent ici ni de crédit, ni de moyens de transport.
Au Kenya (10), autour du lac Victoria, des milliers de familles comptent sur l'activité de la pêche pour assurer leur subsistance, soit dans la transformation du poisson, soit dans son commerce ou son transport. Ici encore, les femmes, responsables de la transformation et quelques fois de la vente, sont présentes dès le débarquement du poisson. Certaines font parfois plus de 50 km pour se rendre à la plage. Elles y restent de deux à cinq jours (dans des conditions d'habitat très précaires, avec leurs enfants) pour réceptionner le poisson et procéder au fumage.
(10) Source: revue Le Courrier n°129,1991.
Puis, il faut très vite se rendre au marché avant que les poissons fumés ne se détériorent. Si l'autobus ou la camionnette tombe en panne, le chargement est perdu. Certaines d'entre elles se sont groupées et fument leur poisson en commun dans un four de grande taille construit dans un lotissement proche du lac.
Cette répartition traditionnelle du travail entre l'homme pêcheur et la femme transformatrice et commerçante n'est néanmoins pas vraie partout. Ainsi par exemple dans la région de Mopti, au Mali, les femmes de pêcheurs ne commercialisent qu'une petite partie du poisson, généralement du poisson de deuxième qualité. Les grosses quantités sont vendues par les hommes. Le partage des revenus et des dépenses au sein de la famille (élargie aux frères, parents, grands-parents, etc.) est décidé en commun, mais les femmes gardent quelques revenus personnels. Voir le tableau 4, page ci-contre.
L'organisation de la commercialisation du poisson est très variable selon les pays d'Afrique. Elle peut être très dynamique comme très archaïque. La demande peut porter majoritairement sur du poisson frais ou sur du poisson transformé. La consommation peut être satisfaite par la production nationale ou bien liée à des réseaux d'importation.
Tableau 4: Répartition du travail entre les sexes chez les pêcheurs du Mali (région de Mopti)
|
Femmes |
Hommes |
Tâches ménagères |
Approvisionnement en eau | |
|
Lavage | |
|
Cuisine | |
|
Achat bois (petite quantité) |
Achat du bois |
|
Ramassage du bois |
|
Pêche |
Les jeunes filles peuvent aider à tirer le grand filet. |
Toutes les opérations |
Préparation du poisson |
Séchage |
Parfois surveillance des fours |
|
Fumage |
Parfois aussi aide au |
|
Grillage |
séchage, fumage et grillage |
Commercialisation |
- Petites quantités de poisson frais |
- Vente de poisson frais aux coopératives |
|
- Vente du poisson séché fumé |
- Vente de poisson séché fumé à des grossistes ou sur des marchés
plus importants au port de Mopti |
Source: A.-M. JEAY. Rôle des femmes dans la préparation et la commercialisation du poisson au Mali (1977).
Face à cette diversité, nous avons choisi de présenter deux exemples de circuits de commercialisation, celui du Sénégal et de la Côte d'Ivoire.
Le Sénégal: un marché très dynamique
Le mareyage en frais absorbe environ les 2/3 de la production artisanale sénégalaise. Il constitue le débouché prioritaire de la plupart des espèces, exception faite de la sardinelle, destinée principalement à la transformation.
Le marché en frais est un secteur dynamique, avec une grande variété d'entreprises. Les zones d'écoulement sont principalement côtières car la vente «en frais» pose des problèmes d'infrastructure à l'intérieur du pays ainsi que des risques commerciaux. La région du Cap Vert reçoit près de 45 % du tonnage mareyé. La distribution se fait soit directement par le mareyeur, soit par l'intermédiaire des détaillants. Le marché de Gueule Tapé, marché en gros de la région du Cap Vert, écoule plus de 10000 tonnes par an, et joue un rôle décisif sur la formation des prix en aval.
À M'Bour, gros centre producteur, le poisson, une fois fumé/séché ou salé, est vendu sur la plage par les transformateurs aux petits vendeurs itinérants, appelés «bana-bana», qui s'informent immédiatement du prix du poisson frais. Ainsi le prix du «kétiakh» (poisson braisé), dépend du prix du panier de sardinelle de la veille. Le kétiakh comme le «yeet» se vend au kilo, pesé sur de petites balances à usage collectif. Le «tambadiang» se vend en sac ou par lot dont le poids est variable selon la durée du séchage du produit et la saison. Durant l'hivernage, ce poisson, plus gras, pèse plus lourd... et le sac se vend plus cher.
Près du lieu de transformation du kétiakh, s'est installé un marché du poisson transformé où nombre de productrices écoulent leurs produits par l'intermédiaire d'un commissionnaire qui appliquent les prix qu'elles ont fixés à l'avance.
La Côte-d'Ivoire: plusieurs circuits de commercialisation
La production ivoirienne, d'environ 100000 tonnes, est nettement insuffisante pour couvrir les besoins; de grandes quantités de poisson congelé sont donc importées. Les principaux pays fournisseurs sont le Sénégal, la Mauritanie, les Pays-Bas et les Pays de l'Est. Il s'agit essentiellement de poissons pélagiques.
Plusieurs circuits peuvent être distingués:
- le poisson congelé d'importation (à l'exclusion du thon qui alimente les conserveries) est consommé soit «en frais», soit après fumage. Un réseau très dense de distribution du poisson congelé, avec des entrepôts frigorifiques, couvre tout le pays;- le poisson frais, lacunaire et maritime, alimente surtout la côte mais le bon réseau routier du pays permet d'acheminer des produits frais vers les villes de l'intérieur également;
- le nord et le centre du pays sont aussi alimentés par les pêches continentales des grandes retenues d'eau mais le poisson transformé joue ici un plus grand rôle.
Encore plus que l'agriculture, la pêche est une activité fragile qui dépend d'un ensemble de facteurs écologiques où toute perturbation naturelle peut compromettre la production. Il suffit parfois d'un changement de température, de courant marin, pour modifier totalement les conditions de pêche. Les aléas de la production se traduisent par des variations importantes du revenu des pêcheurs.
La transformation: une façon de stabiliser le prix du poisson
Mais surtout le prix de vente du poisson dépend étroitement des circuits de commercialisation, et des moyens de transformation et de distribution.
Les problèmes d'écoulement de la production varient très fortement d'une région à l'autre. Dans certaines zones qui ne bénéficient pas d'un réseau de commercialisation bien organisé, ou de moyens de stockage et de conservation adaptés, les pêcheurs se voient parfois contraints de vendre à très bas prix leurs excédents, voire de les rejeter à la mer.
La glace conservée en mer dans des glacières ou à terre dans les entrepôts frigorifiques devrait permettre de satisfaire aux normes de qualité et de stocker les excédents dans de bonnes conditions. Mais les pénuries chroniques de glace se répercutent sur la durée du stockage et le poisson devant être vite écoulé, les prix de vente chutent. La mise en place d'infrastructures de production et de distribution de glace nécessite des moyens financiers souvent hors de portée des associations locales.
Le développement d'activités de transformation permettrait d'écouler les excédents et de maintenir les revenus des producteurs. Il s'agit donc d'un enjeu économique très important pour l'ensemble de la filière pêche.
Le poisson traité est d'ailleurs généralement vendu plus cher que le poisson frais. Ainsi à Abidjan, en décembre 1992, tandis que le kilo de sardinelle fraîche variait de 110 à 125 Fcfa, celui de la sardinelle fumée atteignait 400 Fcfa. À Bouaké, une ville ivoirienne proche du Burkina, la sardinelle fumée se vendait 900 Fcfa le kg pour atteindre 1000 Fcfa de l'autre côté de la frontière (11). Au Sénégal, à la même époque, le guedj était vendu sur la plage de Cap Skirring 500 Fcfa le kg.
(11) Source. Revue Bonga n°24. décembre 1992.
Politique de soutien ou libre échangisme ?
Le prix du poisson frais est une des questions importantes qui se posent aux pêcheurs artisanaux dans presque tous les pays d'Afrique. Les politiques suivies dans ce domaine varient entre deux positions extrêmes:
- la libre formation des prix par le jeu de l'offre et de la demande sur les marchés;- la fixation arbitraire par le gouvernement afin de permettre aux consommateurs d'accéder à cette source vitale de protéines.
Lorsque les gouvernements, comme cela a été le cas au Mozambique, au Gabon, en Guinée Bissau ou en Guinée équatoriale, fixent arbitrairement les prix de vente et imposent des prix faibles à la production, ils favorisent plutôt les consommateurs urbains. Cette politique défavorable aux producteurs est difficile à maintenir dans le temps et provoque le développement de marchés parallèles plus favorables aux pêcheurs, ou la réduction de l'activité de pêche.
Ainsi, en Guinée Bissau, où le prix du poisson avait été fixé trop bas, les pêcheurs ont organisé des réseaux de contrebande et ont limité leur production à leurs propres besoins. Le gouvernement a donc été obligé de revoir ses prix à la hausse, mais les pêcheurs restent insatisfaits. Au Mozambique, en 1985, les pêcheurs se sont tout simplement mis en grève, et le gouvernement a dû libérer les prix.
Dans le cas d'une détermination autoritaire des prix, le contrôle des réseaux de commercialisation est de toutes façons difficile et coûteux car les communautés de pêcheurs sont dispersées. La côte du Mozambique par exemple s'étend sur plus de 3000 km.
Le système libéral, où les prix sont soumis à la loi de l'offre et de la demande, prédomine notamment au Sénégal, au Togo ou en Côte d'Ivoire. Dans ce système, la vente s'opère aux enchères: les femmes, issues le plus souvent des communautés de pêcheurs, achètent le poisson débarqué qu'elles revendent ensuite au détail ou à des grossistes.
Dans la plupart des pays cependant, les deux systèmes peuvent coexister, mêlant politique de prix et politique de prêt, et les situations sont souvent difficiles à appréhender.
Certains gouvernements, comme au Mozambique par exemple, adoptent une politique intermédiaire visant à faciliter l'acquisition d'équipements ou de pièces détachées aux pêcheurs qui, en contre-partie, vendent leur production aux sociétés d'État.
En Guinée Bissau, la possibilité d'obtenir des prêts ou des crédits pour l'achat de pirogues ou de matériels, n'est offerte qu'aux pêcheurs qui vendent leur production au centre désigné par l'État; lors de la vente, une déduction automatique est effectuée, assurant ainsi le remboursement des prêts, des frais de stockage et de la commercialisation.
Au Togo, les pécheurs qui empruntent de l'argent aux femmes «consignatrices» s'engagent à vendre l'intégralité de leur production au prix fixé par celles-ci.
Quel que soit le système, et quelles qu'en soient les déclinaisons, la légitime aspiration des pêcheurs à bénéficier de prix relativement stables n'a jusqu'ici pu trouver de réponse vraiment satisfaisante. La solution adoptée par le Cap Vert semble séduisante: lorsque les prix chutent, le gouvernement garantit un prix minimum auquel il s'engage à acheter tout excédent de production. Ainsi, l'État pallie les inconvénients du marché libre en maintenant un revenu minimum aux pêcheurs, sans entraver le jeu du marché. Mais l'intervention concerne surtout le thon, produit d'exportation pour lequel le pays dispose d'une capacité de stockage et de transformation et seuls les pêcheurs opérant dans la capitale ou à proximité peuvent en bénéficier.
Dans ce contexte, l'intérêt de la transformation paraît évident. Outre réduire les pertes, valoriser les excédents et maintenir un certain revenu aux producteurs, cette activité, moyennant un faible investissement, permettrait également de créer des emplois et de contribuer ainsi efficacement au développement d'une région, voire d'un pays.
La dégradation naturelle de la chair par ses propres enzymes commence dès la mort du poisson; si aucune mesure de conservation n'est prise, il prend un goût et une odeur désagréables et devient vite impropre à la consommation. De trop nombreuses manipulations accélèrent le processus.
On estime à 25 % en moyenne les pertes de poisson, après capture, dues à de mauvaises manipulations (déchargement, transport...) et à des procédés inadéquats de conservation du poisson (12).
Ce gâchis a deux conséquences: des pertes importantes de revenus pour tous les acteurs de la filière, et une réduction considérable de la quantité de poisson effectivement consommable. Comment expliquer un pourcentage de pertes après capture aussi important ?
(12) Source FAO, Prévention des pertes de poisson traité, Document technique sur les pêches n°219,1984.
Dégradations sur la pirogue
La majorité des pirogues sont motorisées, mais peu possèdent un équipement de conservation de la glace. Le poisson est donc le plus souvent maintenu à température ambiante (vingt-cinq en moyenne, parfois plus) dans le fond de la pirogue, jusqu'au débarquement. Le temps passé en mer est variable: de quatre à huit heures lorsque la pêche est bonne, fréquemment douze heures lorsqu'il faut répéter les prises. Après cette attente, le processus de dégradation est parfois bien amorcé. Le poisson partiellement endommagé est mou et friable, ce qui provoque des pertes significatives en raison des brisures au cours de la transformation et de la distribution. Le poisson ainsi abîmé est vendu moins cher.
Dégradations pendant le débarquement
Les systèmes de déchargement sont en général mal adaptés. Dans la plupart des cas, le poisson n'est retiré des filets qu'après l'arrivée des pirogues. La plupart sont transportés à terre dans des cuvettes ou des paniers, puis simplement laissés en tas sur le sable chaud de la grève. Dans le meilleur des cas, ils n'y restent que le temps du débarquement, mais l'attente se prolonge souvent plusieurs heures et ils se détériorent. La détérioration est d'autant plus rapide que le poisson n'est pas vidé immédiatement après le débarquement (voir la figure 10, page suivante).
En Sierra Leone, un usage peu courant en Afrique consiste à répandre du sable sur le poisson au fur et à mesure qu'il est empilé dans les cuvettes ou les paniers. Les pêcheurs pensent que le sable mouillé refroidit le poisson, ce qui est en partie vrai lorsque l'eau s'évapore. Mais dans la pratique, le sable utilisé est plus souvent sec et chaud, et bien que le poisson soit lavé et placé sans tarder sur des claies de fumage, cette pratique «sablée» favorise la détérioration.
Dégradations lors de la transformation
Pendant les opérations de transformation, le poisson mou et plus ou moins abîmé, s'effrite. Certains procédés contribuent à aggraver les choses. Par exemple, pour le fumage, une technique consiste à disposer des bâtons entre les couches de poisson. La pression du bois sur la chair provoque des marques et des brisures, augmentant les possibilités d'infestation par les bactéries et les insectes.
C'est durant ces phases que les pertes sont les plus importantes.
Des conditions de stockage peu hygiéniques
En Afrique, les produits à base de poisson sont traditionnellement emmagasinés dans des bâtiments fabriqués à l'aide de matériaux locaux, tels qu'argile et chaume. Le fumoir lui-même peut, après la phase de fumage, servir à emmagasiner le produit transformé.
Au Ghana par exemple, les fours traditionnels cylindriques vacants servent à entreposer le poisson traité. Solution pratique mais qui ne protège pas des insectes.
L'approvisionnement en poisson est saisonnier et de grandes quantités de poisson fumé sont stockées pour être vendues hors saison. Ce sont généralement les transformateurs qui conditionnent leurs produits pour le stockage. Les poissons sont disposés dans des récipients appropriés, paniers, caisses en bois, etc., qui sont alors enveloppés dans des feuilles de matière plastique (généralement polyéthylène).
Parfois, comme dans le cas du four «chorkor», ce sont les claies de fumage, emballées dans des feuilles de polyéthylène, qui servent au stockage du poisson; si au cours du stockage il est nécessaire de refumer, les claies sont déballées et placées directement sur le fumoir. L'usage de feuilles en plastique, s'il réduit les risques d'infestation par les insectes, ne l'annule pas complètement.
L'offre et la demande sont relativement constantes et en général, il n'est pas nécessaire de stocker à long terme. Cependant, durant les périodes d'offre excédentaire, le poisson peut être refumé afin de prolonger la durée de conservation. En effet, le poisson qui n'est que légèrement fumé doit être consommé dans un délai de deux à trois jours après le fumage; tout retard dépassant cette période entraîne un risque d'infestation.
Au Mali, après transformation, le poisson fumé ou séché est stocké pendant un mois environ, jusqu'à ce que la quantité soit suffisante pour remplir les grandes pirogues motorisées, qui peuvent acheminer jusqu'à cinq tonnes de produits. Les conditions de stockage dans l'attente du départ sont souvent très mauvaises.
À Mopti, l'un des plus grands centres du pays, où aucune désinsectisation n'est effectuée, le poisson quitte généralement le centre dans un état plus défectueux qu'à son arrivée. Une expérience réalisée sur du tilapia séché a montré que dans des conditions de stockage précaires - en caisse découverte posée sur le sable - le poisson pouvait être totalement détruit en moins d'un mois. Certains poissons étant achetés par des mareyeurs itinérants, l'amélioration du réseau routier contribuerait à réduire la durée du stockage.
Au Sénégal, où la demande en «frais» est forte (75 %), le poisson est maintenu au froid pendant son transport dans de la glace produite à Dakar. Mais les conditions de stockage sur place sont précaires car le taux de glace est calculé au plus juste par le mareyeur.
Des techniques de conditionnement peu fiables
Les conteneurs servant au transport des poissons sont de plusieurs sortes. Les plus simples et les plus utilisés sont les cuvettes, les paniers d'osier, les caisses en bois. Dans tous les cas, les poissons, entassés les uns sur les autres puis recouverts de toiles de sac, s'émiettent facilement.
Au Mali, dans la région de Mopti, le poisson est conditionné en grandes bottes d'environ 500 kg dans de grandes nattes de paille, ou empilé très serré dans des caisses en bois. Mais certains poissons mesurant près d'un mètre, ils dépassent largement la hauteur de la caisse. On double alors l'emballage de nattes de paille. Les caisses sont ensuite transportées sur les marchés, soit d'exportation, soit urbains, dans des grands camions transportant jusqu'à vingt tonnes chacun. Les poissons ainsi conditionnés et transportés subissent d'irréparables dommages.
Que le poisson soit transporté sur de courtes distances, à pied ou à bicyclette, ou sur de plus longs trajets en camionnette, il doit être correctement emballé pour éviter de se morceler. De grandes feuilles de bananier servent souvent à garnir le récipient et emballer le poisson. Outre l'aptitude du récipient à empêcher les dommages physiques, une autre considération importante est la façon dont le poisson est disposé à l'intérieur. Il faut éviter les chocs et les meurtrissures, qui facilitent le développement des insectes ( Dermestes et Necrobia). Les insectes peuvent détruire jusqu'à 60 % des produits mal protégés.
Des transports longs et difficiles
Pour acheminer le poisson jusqu'aux lieux de vente, les transporteurs utilisent en général des camionnettes privées ou les transports en commun; certains se déplacent à bicyclette. Le transport est souvent long car la transformation artisanale du poisson se déroule la plupart du temps dans des localités peu accessibles et éloignées des lieux de consommation.
Au Ghana, la demande en poisson fumé est très forte (environ 80 %), et une grande partie de la production est envoyée, soit directement au fumage, soit congelée; mais il faut tenir compte du fait que la moitié de ce poisson congelé est en attente de fumage ultérieur. Après la transformation, le poisson est emballé dans de grands paniers d'osier couverts de toiles de sac puis transporté en camion jusqu'aux marchés de l'intérieur. Les routes goudronnées desservent presque toute la côte du Ghana et l'accès aux villages de pêcheurs est facilité.
Dans la plupart des cas, ce sont des mareyeurs, connus des transformateurs, qui vendent le poisson au détail sur les marchés de l'intérieur. Lorsqu'il y a un retard dans la chaîne de distribution, le poisson est tout simplement refumé - ou fumé s'il s'agit de poisson congelé - dans les fumeries situées à l'intérieur du pays.
En Sierra Leone, la distribution est parfois effectuée par le transformateur, mais comme au Ghana, c'est le plus souvent un mareyeur qui se charge de cette opération. Il est basé au village de pêche ou se déplace à l'intérieur du pays. L'acheminement, en transports publics ou en grands camions privés affrétés par les femmes transformatrices, se fait par la route. Dans quelques cas de villages très isolés ou de routes impraticables, une partie du trajet s'effectue en bateau. La majeure partie du poisson est consommée dans les grands centres urbains de l'intérieur; il peut «changer de mains» à plusieurs reprises pendant le voyage. A l'arrivée, il est vendu au détail sur les marchés où il est rapidement écoulé.
D'autres contraintes telles que le prix et la pénurie de l'essence peuvent affecter le système de distribution car les transports publics, très utilisés, deviennent moins fréquents et retardent la vente du poisson. Il faut ajouter à cela le mauvais état des routes, lorsqu'elles existent, et des conditions difficiles d'accès d'un grand nombre de petits villages de pêche.